jeudi 3 février 2011

correction du bilan de secondes:les caprices de la mode, Montesquieu

et


le texte:


RICA A RHEDI.

A Venise.

Je trouve les caprices de la mode, chez les Français, étonnants. Ils ont oublié comment ils étaient habillés cet été; ils ignorent encore plus comment ils le seront cet hiver: mais surtout on ne saurait croire combien il en coûte à un mari, pour mettre sa femme à la mode.
Que me servirait de te faire une description exacte de leur habillement ou de leurs parures? Une mode nouvelle viendrait détruire tout mon ouvrage, comme celui de leurs ouvriers; et, avant que tu eusses reçu ma lettre, tout serait changé.
Une femme qui quitte Paris pour aller passer six mois à la campagne en revient aussi antique que si elle s'y était oubliée trente ans. Le fils méconnaît le portrait de sa mère, tant l'habit avec lequel elle est peinte lui paraît étranger; il s'imagine que c'est quelque Américaine qui y est représentée, ou que le peintre a voulu exprimer quelqu'une de ses fantaisies.
Quelquefois les coiffures montent insensiblement; et une révolution les fait descendre tout à coup. Il a été un temps que leur hauteur immense mettait le visage d'une femme au milieu d'elle-même: dans un autre, c'était les pieds qui occupaient cette place; les talons faisaient un piédestal, qui les tenait en l'air. Qui pourrait le croire? Les architectes ont été souvent obligés de hausser, de baisser et d'élargir leurs portes, selon que les parures des femmes exigeaient d'eux ce changement; et les règles de leur art ont été asservies à ces fantaisies. On voit quelquefois sur un visage une quantité prodigieuse de mouches, et elles disparaissent toutes le lendemain. Autrefois les femmes avaient de la taille, et des dents; aujourd'hui il n'en est pas question. Dans cette changeante nation, quoi qu'en dise le critique, les filles se trouvent autrement faites que leurs mères.
Il en est des manières et de la façon de vivre comme des modes: les Français changent de moeurs selon l'âge de leur roi. Le monarque pourrait même parvenir à rendre la nation grave, s'il l’ avait entrepris. Le prince imprime le caractère de son esprit à la cour, la cour à la ville, la ville aux provinces. L'âme du souverain est un moule qui donne la forme à toutes les autres.

De Paris, le 8 de la lune de Saphar, 1717.


Avant l' Esprit des lois, Montesquieu devient le précurseur des philosophes des Lumières en même temps que celui des romans épistolaires. Les lettres Persanes éditées en 1721 à Amsterdam sous un pseudonyme bénéficieront longtemps de leur anonymat propre à déjouer la censure. L' auteur imagine le périple d' un jeune persan qui contemple de son regard neuf une civilisation étrange et fait part de ses impressions à ses correspondants. L' exotisme est bien évidemment prétexte à un argumentaire satirique contre la politique monarchiste et cléricale .La lettre xcix quant à elle se contente d'épingler le roi à travers la frivolité de ses sujets. Par le biais de l' apologue, les moeurs superficielles des français sont dénoncées.
Les caractéristiques de la mode sont alors révélatrices de la docilité du peuple face à un roi manipulateur.




Avec un ton léger, l’ auteur ridiculise les tenues vestimentaires à travers le perpétuel changement et l’ aspect outrancier. En effet, l’ accent est mis sur la rapidité avec laquelle les vêtements se démodent , le parallélisme antithétique « Ils ont oublié comment ils étaient habillés cet été; ils ignorent encore plus comment ils le seront cet hiver. » montre bien qu’ une saison vient abolir la précédente et la question oratoire : « Que me servirait de te faire une description exacte de leur habillement et de leurs parures? » est révélatrice de l’ inutilité de s’ attarder sur une tendance vite tombée en désuétude. La personnification d’ « une mode nouvelle » sujet du verbe" viendrait détruire" en fait une entité implacable contre laquelle « ouvrage et ouvriers » , isotopie du labeur, ne sont pas de taille à lutter ce qui dénonce l’ inutilité des efforts des artisans pour satisfaire leur exigeante clientèle. L’ antériorité « avant que tu eusses reçu ma lettre » et l’ adjectif « tout » ont un effet d’ amplification pour le résultat « tout serait changé » car même si les diligences étaient lentes à acheminer le courrier , les tissages aussi prenaient du temps, la mode varie plus vite que les nouvelles qu' on en donne grâce au procédé d' exagération. Un autre exemple est tout aussi hyperbolique en opposant Paris et la campagne , de même que six mois et trente ans. Les termes « quitter et s’ oublier » montrent que s’ éloigner de Paris revient à une sorte d’ ensevelissement dans des lieux où le temps qui s' écoule n' est pas au même rythme que celui de la capitale et l’ hyperbole « antique » accentue sur l’ aspect vieillot de la tenue d’ une parisienne revenant de province. La parataxe rend plus frappante l’ énumération d’ exemples ,qui trouve son apogée avec le décalage souligné entre un portrait de jeunesse et le modèle réel: la peinture représentant la génération précédente prend des allures de curiosité puisque les contemporains de Montesquieu avaient comme image d’ Epinal de "l'Américaine" des peaux rouges emplumés et peinturlurés.

Grâce à une systématique hypotypose, la satire met à mal les excès de certains accoutrements : « Quelquefois les coiffures montent insensiblement; et une révolution les fait descendre tout à coup. Il a été un temps que leur hauteur immense mettait le visage d'une femme au milieu d'elle-même: dans un autre, c'était les pieds qui occupaient cette place; les talons faisaient un piédestal, qui les tenait en l'air. » Les parallélismes produisent un effet humoristique, avec les procédés d’ ironie dont ils sont parsemés ; l' adverbe « quelquefois » suggère des excentricités habituelles que renforce l’ antithèse « montent ; descendre » ainsi que l’ opposition « sensiblement ; tout à coup » cette image étant à peine exagérée puisque certaines gravures de l’ époque montrent des laquais obligés de maintenir l’ édifice de cheveux avec une sorte de balai. « Il a été un temps que leur hauteur immense mettait le visage d'une femme au milieu d'elle-même: dans un autre, c'était les pieds qui occupaient cette place; les talons faisaient un piédestal, qui les tenait en l'air. » L’ évocation se poursuit avec une surenchère d’ hyperboles « hauteur immense » et « visage au milieu d’ elle même » font sourire, et le terme « piédestal » semble trop élogieux pour la grotesque réalité de talons trop élevés. L’ effet pervers de ces changements qui vont jusqu’ à influencer le paysage urbain est accentué par l’ indice temporel « , souvent » , l’ énumération ternaire antithétique « hausser, baisser, élargir » et l’ isotopie de l’ autoritarisme « obligés, exigeaient, asservies » qui contraste avec « les règles de leur art » dénotent un profond respect pour les architectes. Après la coiffure et les pieds, la focalisation se fait sur le visage : «On voit quelquefois sur un visage une quantité prodigieuse de mouches, et elles disparaissent toutes le lendemain. »Une fois de plus, l’ habitude est exprimée par l’ adverbe temporel, ainsi que la rapidité et une hyperbole rend la description plaisante. L’ opposition « autrefois ;aujourd’hui » dans le concetto : « Autrefois les femmes avaient de la taille, et des dents; aujourd'hui il n'en est pas question. » amorce la conclusion de l’ irréversible fossé entre deux générations successives ; l’ auteur fait allusion au fait qu’ il soit plus ou moins bienséant de sourire ou de rester bouche fermée, tout comme de cintrer plus ou moins les robes à la taille. Le paragraphe s’ achève avec un péjoratif « dans cette changeante nation » ridiculisée par le constat absurde « les filles se trouvent faites autrement que leur mère ».Ainsi la mode et ses fluctuations constantes se voient réduites à une suite de descriptions qui épinglent de farfelues lubies, cependant la thématique n’ est pas aussi frivole qu’ il n’ y paraît.





Par delà l’ amusante satire proposée par le biais d’ une innocente correspondance entre deux Persans, l’ auteur fait sentir à travers des yeux neufs la gravité de ce qui révèle le caractère manipulable des Français, explicitement concernés. L’ étonnement du faux narrateur met en valeur la stupidité réelle de ceux dont il est question et débouche sur une critique de la politique. Ainsi l’ exotisme de la date farfelue et des prénoms masquent le pamphlet sous- jacent. Rica exprime son étonnement avec sa subjectivité romanesque : « Je trouve les caprices de la mode , chez les Français, étonnants. » cependant le terme « caprices », renforcé ultérieurement par le terme « fantaisie » est explicitement péjoratif et différer étonnants en épithète détachée accentue l’ effet de surprise. « On ne saurait croire » montre également une surprise incrédule tout comme la question rhétorique « Qui pourrait le croire ? » dont l’ énonciation masquée avec le conditionnel et le "on" de généralité rend l’ impossibilité de comprendre universelle. D’ ailleurs, la pseudo objectivité de l’ ensemble de la lettre avec les tournures impersonnelles et le présent gnomique comme dans « on voit » » il en est des manières » « il n’ en est pas question » révèlent la réelle portée didactique et critique de son contenu.


La naïveté des Français est bien plus flagrante que celle, supposée de l’ émetteur de la lettre, les verbes d’ opinion ne laissent pas de doute : « ils ont oublié, ils ignorent, méconnaît, il s’ imagine » montrent un peuple absent des réalités qui vit dans l’ incertitude comme le laissent entendre les adjectifs indéfinis « quelque Américaine, quelqu’ une de ses fantaisies ».Un fils est capable de prendre sa mère pour une étrangère et un mari est prêt à tous les sacrifices pour satisfaire les caprices de sa femme, les valeurs familiales semblent inversées, dépouillées de leur beauté originelle pour de futiles préoccupations. Le quatrième paragraphe fait des parures de véritables personnages au détriment des personnes car les coiffures et les talons deviennent sujets à leur tour , se trouvant personnifiés, et l’ on ne distingue plus les vêtements des femmes elles mêmes, présentées comme des êtres fantasques et impérieux par l’ isotopie du caprice. Le tiers état mis en valeur par son travail semble complètement méprisé par ses luxueux clients.


En effet, l’ analogie finale révèle le caractère précurseur de l’ esprit des Lumières : « Il en est des manières et de la façon de vivre comme des modes: les Français changent de moeurs selon l'âge de leur roi. » Le véritable responsable est directement accusé, avec par effet de ricochet la coupable complaisance de ses courtisans. L’ allusion à Louis XIV semble évidente puisque la mode luxuriante du temps de son libertinage devint austère quand il épousa Madame de Maintenon. L’ irréel du passé « s’ il l’ avait entrepris » manifeste un regret de Montesquieu qui donne au mot « grave » une connotation de sagesse en mettant une pointe d’ ironie sur « le monarque » qui n’ a pas su éduquer ses sujets, et les anadiploses « Le prince imprime le caractère de son esprit à la cour, la cour à la ville, la ville aux provinces. » mettent en valeur l’ influence de la cour sur la totalité du pays contaminé par la frivolité de son roi.La phrase finale qui est l’ apothéose est une condamnation de la monarchie de droit divin car l’ âme, terme religieux, corrompue du roi s’ étend comme une épidémie avec des termes comme « s’imprime, moule » qui critiquent sa coupable responsabilité.






Les lettres Persanes de Montesquieu allient la crédibilité du roman épistolaire à l’ exotisme d’ un conte philosophique, l’ esthétique et l’ ironie séduisent le lecteur, mais le point final n’ en demeure pas moins polémique, le prétexte de la mode est révélateur d’ une nation égoïste et superficielle qui aurait refusé de s’ interroger sur le commerce triangulaire, qui ne se serait pas élevée contre l’ intolérance religieuse et l’ iniquité de la justice lors de procès comme l’ affaire Calas, si les philosophes des Lumières n’ avaient pas amené ces scandales à la connaissance du peuple en mettant les rieurs de leur côté .



27 commentaires:

  1. Question de mode, rien de nouveau sous le soleil!
    Qui est notre nouveau Diderot ?
    Bonne soirée !

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  2. En effet paradoxalement! Il serait bon que le nouveau Diderot se lêve car l' encyclopédie de notre siècle reste à écrire, à vous aussi très bonne soirée!

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  3. Question du moin assez vaine , mais elle - m ' - est nescessaire ! Dans la phrase "Que me servirait de te faire une description exacte de leur habillement et de leurs parures?" ; est-il exacte de parler d'une préétérition puisqu'il dénonce le vain de sa description mais la réalise quand même ? :)

    Et l'on s'excuse pour aujourd'hui , les tetes de lendemain de soirée sans vous avoir conviée ... :p

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  4. Ce n' est absolument pas une prééterition, mais c' est bien une prétérition:-) hou, la mesquine! qui n' a pas échappé à ton oeil de lynx mais qu' a manqué mon cristallin engourdi par l'âge!Bravo, tu as la primeur du corrigé que je ne vous ai pas encore distribué...Oui je ne suis pas sûre que le test antidopage aurait bien fonctionné pour tout le monde ce matin!je ne regrette qu ' une chose, c' est d' avoir manqué l' arrivée des troupes en corbillard:-)

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  5. Que interesante trozo de historia, y si la moda no incomoda a veces es inalcanzable por lo costosa.

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  6. Hola, Carmen,es verde,la revolution no cambio eso!
    Amistad.

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  7. Effectivement rien de nouveau sous le soleil...
    L'Histoire est un perpétuel recommencement, non ?
    amicalement Jean-Philippe

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  8. C' est vrai, mais il y a eu l' avant et l' après Montesquieu:-) Amicalement et re re bienvenue!

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  9. ah, vous n'avez pas tout sabordé ! vs êtes très impulsive

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  10. Je confirme, l' abbé! en tout cas je ne vous saborde pas vous et vous recommande de tenir bon.Je remettrai mes blogs d' ici un ou deux mois quand j' aurai digéré que j' écris comme une adolescente . L' ado fait sa crise!

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  11. Et si l' anonyme veut me détruire définitivement, il peut aussi venir mettre ici que je suis un professeur de pacotille, dans ma grande bonté je fournis le mode d' emploi.

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  12. chère Orfeenix dîtes-moi surtout quand vous reviendrez et pour l'instant sur mes sites je mets le lien vers ce blog -ci

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  13. Brigitte , je laisse passer ma petite tempête( en relativisant avec le Tsunami...)un mois ou deux mais je compte bien aller me ressourcer à la beauté de mes " blogs aimés" pour apprendre à écrire plus fort et même à écrire tout court, la vie est faite de morts et de naissances, et là je suis en gestation, merci d' être venue,comptez sur moi pour vous envoyer" un faire part" :-)Vos chansons sont poignantes, continuez de donner la parole aux mots, enfin leur voie,vous me comprenez.

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  14. Bon, j'aimerais aussi revoir ton blog... j'attends !! allez...sil teu plé !!

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  15. Anne Laure, je suis sûre que si quelqu' un comprend, c'est toi!merci,princesse, tu sais ce que je pense de la profondeur, de la sensibilité et de la loyauté...de tes photos:-)

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  16. qui est-ce que c'est que tu aimes?

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  17. You, i love this question, i love poetry , beauty , words, beautiful people and Shakespeare, i love your blog, i' m a lover!

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  18. Les blogs sont-ils vrais ou l'imagination ?

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  19. That's the great question, i made a confusion between illusion and reality ,because words themselves are ambiguous, what's really real?

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  20. There are no facts, only interpretations.

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  21. M'enfin! Pourquoi nous priver des mots qui nous faisaient chaud au coeur?
    Les blogs sont des espaces de liberté qui se nourissent de ce que leurs auteurs acceptent de partager, en toute partialité, sans aucun esprit démocratique - manquerait plus que ça!

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  22. You, as a matter of facts,you agree with "me", or i agree with you,we are free to make a dream with reality or make a dream real, so do you on yor blog!

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  23. Ma Zeta, le monde de la toile es petit, trop petit pour permettre l'oubli,je te donne donc rendez dans les étoiles pour des mots qui réchauffent le coeur sans témoin, l' anonyme va encore ironiser sur notre saphisme,mais je n' en ai cure.

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  24. http://www.youtube.com/user/gypsyandthecatVEVO?v=sF03NkMVljE&feature=pyv&ad=7762006671&kw=fleetwood%20mac%20video

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  25. Thanks to make me discover this group i didn' t know, it 's modern but it sounds like what i listened to in discotheque when i was young,mmmh, memory!

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  26. oui je vais continuer Orfeenix, continuer aussi de vous remercier pour votre écoute si généreuse, continuer de vous lire et de me laisser séduire par vos vers rimés avec tous les sens!

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  27. Brigitte, un immense merci pour votre soutien , vous savez à quel point j' estime votre art, et votre " voie" , votre présence est d' une grande valeur!

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Sans la liberté de blâmer il n' est point d' éloge flatteur,à vos plumes: