mercredi 14 décembre 2011

commentaire composé d' un extrait du chapitre un d' " au bonheur des dames"






Texte:

Alors, Denise eut la sensation d'une machine, fonctionnant à haute pression, et dont le branle aurait gagné jusqu'aux étalages. Ce n'étaient plus les vitrines froides de la matinée ; maintenant, elles paraissaient comme chauffées et vibrantes de la trépidation intérieure. Du monde les regardait, des femmes arrêtées s'écrasaient devant les glaces, toute une foule brutale de convoitise. Et les étoffes vivaient, dans cette passion du trottoir : les dentelles avaient un frisson, retombaient et cachaient les profondeurs du magasin, d'un air troublant de mystère ; les pièces de drap elles-mêmes, épaisses et carrées, respiraient, soufflaient une haleine tentatrice ; tandis que les paletots se cambraient davantage sur les mannequins qui prenaient une âme, et que le grand manteau de velours se gonflait, souple et tiède, comme sur des épaules de chair, avec les battements de la gorge et le frémissement des reins. Mais la chaleur d'usine dont la maison flambait, venait surtout de la vente, de la bousculade des comptoirs, qu'on sentait derrière les murs. Il y avait là le ronflement continu de la machine à l'oeuvre, un enfournement de clientes, entassées devant les rayons, étourdies sous les marchandises, puis jetées à la caisse. Et cela réglé, organisé avec une rigueur mécanique, tout un peuple de femmes passant dans la force et la logique des engrenages.
Denise, depuis le matin, subissait la tentation. Ce magasin, si vaste pour elle, où elle voyait entrer en une heure plus de monde qu'il n'en venait chez Cornaille en six mois, l'étourdissait et l'attirait ; et il y avait, dans son désir d'y pénétrer, une peur vague qui achevait de la séduire.En même temps, la boutique de son oncle lui causait un sentiment de malaise.C'était un dédain irraisonné, une répugnance instinctive pour ce trou glacial de l' ancien commerce.





Barême: 2 points pour l' idée directrice reformulée.
2 points pour la phrase de conclusion.
8fois 2 par sous partie.
entre moins un et moins deux pour la syntaxe à raison d' un point pour 10 fautes.

Denise éprouve une fascination qui s' explique par la sensualité des descriptions.
En effet la scène est vécue à travers son point de vue mitigé, entre attirance et rejet:" Denise eut la sensation d' une machine",c' est son imaginaire qui semble transfigurer le décor en fonction de ce qu' elle éprouve avec incertitude, comme l' atteste le conditionnel " aurait gagné",le point de vue omniscient cède parfois la place à des termes génériques et imprécis qui dénotent un regard neuf:"du monde, des femmes, toute une foule" dont la gradation manifeste l' étonnement impressionné de la jeune femme.L' auteur présente une description subjective à travers les sensations "on sentait derrière les murs" pour faire ressortir l' attraction ambivalente que le personnage éprouve:" Denise , depuis le matin, subissait la tentation." Les indices de temps signalent la longueur de ce supplice en opposant " de la matinée "à "maintenant"au début du texte, avec la surenchère " depuis le matin". Ses sentiments contradictoires sont évoqués par le contraste entre "l' étourdissait", sensasion désagréable , et " l' attirait".Elle oscille entre la crainte et l' envie propre aux plaisirs défendus:"et il y avait dans son désir d' y pénétrer , une peur vague qui achevait de la séduire."L'explication de cette culpabilité réside dans la comparaison défavorable qui est faite avec le magasin de son oncle:" en même temps la boutique de son oncle lui causait un sentiment de malaise" ainsi que celle avec son ancien lieu de travail:" elle voyait entrer en une heure plus de monde qu' elle n' en voyait chez Cornaille en six mois."Sans parler de l' onomastique qui dissocie les deux établissements, l' antithèse "une heure,six mois" manifeste l' inégalité de la lutte entre petit et grand commerce.L' état d' esprit de l' héroïne devient un symbole de l' engouement des Parisiens pour les grandes galeries marchandes au détriment des boutiques:"C' était un dédain irraisonné,une répugnance instinctive pour ce trou glacial de l' ancien commerce." La métaphore opère un contraste avec l' aspect chaleureux du grand magasin:"chauffées, tièdes, chaleur d' usine".Cependant l' auteur semble garder un oeil critique en faisant une redondance avec " dédain irraisonné, peur instinctive" pour dénoncer un côté irréfléchi de l' ordre du ressenti.
Ainsi la description est essentiellement sensuelle, elle monopolise toutes les facultés sensorielles et non la pensée:le sens de la vue traduit une société frivole, subjuguée par le paraître :"les vitrines...elles paraissaient comme chauffées et vibrantes" " du monde les regardait" " des femmes arrêtées s' écrasaient devant les glaces"" les dentelles retombaient et cachaient les profondeurs du magasin, d' un air troublant de mystère".Tout semble agencé pour donner l' illusion de la perfection,du confort raffiné.Le but recherché semble atteint, donner l' envie d' acquérir:"toute une foule brutale de convoitise."La beauté mensongère s' opère essentiellement par le sens du toucher, les étoffes personnifiées étant assimilées à des femmes voluptueuses:" les étoffes vivaient dans cette passion du trottoir", les badauds représentent des sortes de Pygmalions sensibles aux émotions des tissus:"les dentelles avaient un frisson" " les pièces de drap respiraient , soufflaient une haleine tentatrice" comme un chant de sirène, " les paletots se cambraient sur les mannequins qui prenaient une âme", Les vêtements semblent adopter délibérément des postures aguicheuses, l' analogie érotique est presque explicite dans la comparaison" le grand manteau de velours , souple et tiède , se gonflait comme sur des épaules de chair, avec le battement de la gorge et le frémissement des reins" Zola établit une mise en abyme de la cliente dont le produit devient le miroir de ses émotions intimes pour critiquer la force séductrice d' une machine destructrice implacable.


C'est bien un mécanisme pervers que l' auteur dépeint, dangereux et efficace dans ses effets sur les personnes.
Le magazin est évoqué comme " une machine fonctionnant à haute pression", animée d' un mouvement qui se répand progressivement:"dont le branle aurait gagné jusqu' aux étalages."Cette animation a quelque chose de frénétique:"vibrantes de la trépidation intérieure". Une chaleur infernale semble s' en dégager , jusqu' à l' incendie potentiel:" la chaleur d' usine dont la maison flambait".L' endroit est immense , presque infini:" les profondeurs du magasin", " si vaste pour elle", bruyant:"le ronflement continu de la machine à l' oeuvre" et semble déterminé dans une volonté farouche:" et cela réglé, organisé avec une rigueur mécanique" " la force et la logique des engrenages".Le magasin devient le véritable héros, omnipotent qui asservit ses victimes consentantes.
Le mouvement et la violence contaminent les curieux:"des femmes arrêtées s' écrasaient devant les glaces,toute une foule brutale de convoitise".L' espace illimité contient une foule indéterminée :"un enfournement de clientes","tout un peuple de femmes", qui subit un traitement inhumain:"la bousculade des comptoirs"rendu plus frappant par la gradation ternaire:"entassées devant les rayons,étourdies sous les marchandises,puis jetées à la caisse".seule l' isotopie réaliste du lieu rappelle qu' il s' agit d' un simple magasin:" vitrines, murs, comptoirs,vente , caisse", le mouvement du texte inverse la logique en personnifiant l' endroit animé d' une volonté machiavélique pour pousser les êtres vivants à l' achat tandis que ceux-ci sont déshumanisés, englobés dans une masse informe et docile.
Zola profite de l' émoi anecdotique du personnage de Denise pour critiquer le pouvoir pernicieux des grands réaménagements de Paris à visée mercantile qui annihilent la volonté et la faculté de penser des clients en les étourdissant.