mercredi 14 novembre 2012

Je vous parle d' un temps.




Lenoir: rêverie


La mode des réseaux sociaux est au témoignage culturel, on se rassure , on se met en spectacle , on prouve " qu'on y était"! On prouve qu' on fait de la résistance " au complot des forces assoupissantes" moyennant une somme variable et quelques heures de plaisir, eh bien, je ne dérogerai pas à la règle , oui j' y étais, et je ne cherche ici qu' à encourager mes deux lecteurs y compris moi, à ne pas passer à côté.

Puisque cet éloge ne paraîtra jamais dans " Beaux-Arts" je peux y aller de ma petite touche autobiographique: en fait j' étais censée emmener une passionnée de stylisme à l' expo " les impressionnistes et la mode" mais comme toutes les connexions ne sont pas bien raccordées dans ma calebasse , nous avons atterri au Grand Palais au lieu d' Orsay. Vu les facilités de parking dans les deux quartiers je me suis rabattue sur la première option venue. C' est l' histoire de ma vie, mes plus belles aventures sont parties de bévues, quiproquos et ratages...

Allons donc voir " bohèmes" , l' affiche est jolie.

C' est un parcours initiatique, d' abord un vieux documentaire muet filmé aux premiers temps des caméras sur les roulottes, les danses gitanes, soit. Ensuite, l' émerveillement: découvrir l' histoire de la vision des bohémiens, entre peur et fascination. Apprendre au fil des époques et selon le contexte comment ils sont passés de voleurs à messagers mystiques, à travers des peintres classiques, maniéristes, orientalistes ...Que des grands noms: Boucher, Vigée Lebrun, Van Gogh, Manet, Sisley, Picasso, Van Dongen,Corot, De la Tour...Les chefs d' oeuvre s' enchaînent avec une logique parfaite.On démontre en images la sacralisation du peuple au moyen du thème de la fuite en Egypte, aussi bien que leur inscription dans un panthéisme de bon goût à l' époque des Lumières. A bout de souffle, croire que s' est fini, avec un début de nostalgie, mais non.. un corridor avec une gitane mystique, une Esmeralda aussi dorée que sa chèvre est blanche et monter le grand escalier , la colonne Morris s' habille d' affiches de tous les films sur les gitanes et c' est reparti.Cette fois la vie de Bohême, les poètes maudits, les peintres et écrivaillons criblés de dettes, caricaturés par Daumier, exaltés par Degas, Toulouse Lautrec... et le magnifique " rêve" bleu nuit , immense, dans son décor lézardé ...De temps à autres un extrait  de lettres, un poème de Baudelaire pour mettre des mots sur l' émotion.Je ne regrette pas que le hasard pallie mes défaillances.


Urs Karpatz: Fete des Gitans 2010 - Les Saintes... par GypsySoulRadio

lundi 16 janvier 2012

morts sans sépulture




Morts sans sépulture de Jean Paul Sartre au théâtre de Ménilmontant.

Il s’ en est fallu de peu que je reste en carafe, la salle était comble de réservations, bénis soient les retardataires ! C’ est donc dans un sympathique petit théâtre bondé avec des jeunes debout derrière ou assis dans les escaliers , face à un public de tous âges muet et solennel que la confrontation a eu lieu. Dès notre entrée , ils sont déjà sur la scène coupée en deux par une ligne blanche : les bourreaux dans l’ ombre, les victimes en vis à vis dans la lumière avec un ingénieux jeu de va et vient entre ces statuts interchangeables. Le texte de Sartre pose ses atemporelles questions : existe –t-il une cause qui vaille la vie d’ un homme, aurait –on le courage de ne pas trahir sous la torture, qu’ est-ce qu’ un héros, qu’ est-ce qu’ un lâche , ne sommes nous pas tous un peu des deux, la gratuité de l’ acte est-elle un mythe, notre essence dépend-elle de notre idéal ? Ils sont quelques condamnés à défiler pour être livrés à la torture afin de livrer leur chef .La mise en scène d' Audrey Bertrand est remarquable. Le rythme est soutenu et oppressant, on ne peut détacher son regard, on peut à peine respirer. C’ est en apnée qu’ on subit le viol et la torture, suggérés tout en pudeur, sans complaisance malsaine mais porteurs d’ une émotion édifiante, on a la larme à l’ œil sans se sentir voyeur, on n’ est que des pauvres hommes emportés dans une situation dramatique, aussi démunis que les personnages qui obtiennent notre compassion .Des musiques désuètes rythment le bal, entre flamenco et chansonnette cocasse, ce sont encore les mélodies fredonnées bouches fermées les plus obsédantes. Là aussi la musique est une fuite. Les victimes changent de costumes régulièrement, enfilent des tenues de plus en plus modernes, de plus en plus proches de nous. Quand le groupe des persécutés joue une scène, celui des tortionnaires continue de vivre et vice versa, chaque comédien ne cesse de jouer et continue d' exprimer son drame personnel. Il s’ agit de la troupe de l’ ombre noire et ils ont toute ma gratitude pour avoir si bien respecté le pacte de la vraisemblance que j’ ai vécu deux heures à travers eux en m’ oubliant, ils m’ ont laissée enrichie de leurs émotions, de leurs dilemmes auxquels j’ ai pris part sans aucun recul. Quant à toi, Maxime, je te connais drôle et humain et je t’ ai découvert ignoble et terrifiant, je t’ ai vu comme un monstre cynique et cruel, jusqu’ à ce que tu retournes nos certitudes manichéennes en devenant sympathique dans ton envie dérisoire de gagner la partie au détriment de l’ idéologie même, tu instaures un rapport de force dont tu seras le grand perdant, manipulé par tes victimes qui te mentent, trahi par tes pairs qui te désobéissent, tu es finalement le seul à tenir parole, le seul vraiment honorable, celui qui n’ a ni doutes , ni sang allié sur les mains, suis je objective ? Tu es mon personnage préféré, les autres m’ ont attendrie, indignée, mais toi tu es l’ archétype du pur, un archange de la dictature, les traces de sang sur tes mains sont nettes et sans bavures, je suis fière de toi ! Pendant que l’ on vous applaudissait avec enthousiasme, quatre ou cinq rappels, je crois, je me disais que toutes les mesquineries de notre quotidien, la crise et les fins de mois , tout cela me semblait bien dérisoire. Je n’ ai pas à me demander si je dois mourir ou laisser mourir une personne que j’ aime, je n’ ai pas à faire supporter l’ insoutenable à quelqu’ un de ma race humaine pour rester en vie, je suis heureuse ! Je m’ engage à ne jamais manquer une seule représentation de cette jeune troupe talentueuse aux choix intelligents.