samedi 15 janvier 2011

La mort des amants étude analytique



Photo d' Annie Leibovitz:Roméo et Juliette.

CXXI - La Mort des Amants

Nous aurons des lits pleins d'odeurs légères,
Des divans profonds comme des tombeaux,
Et d'étranges fleurs sur des étagères,
Ecloses pour nous sous des cieux plus beaux.


Usant à l'envi leurs chaleurs dernières,
Nos deux coeurs seront deux vastes flambeaux,
Qui réfléchiront leurs doubles lumières
Dans nos deux esprits, ces miroirs jumeaux.


Un soir fait de rose et de bleu mystique,
Nous échangerons un éclair unique,
Comme un long sanglot, tout chargé d'adieux;


Et plus tard un Ange, entr'ouvrant les portes,
Viendra ranimer, fidèle et joyeux,
Les miroirs ternis et les flammes mortes.


Encore une! Je n' ai pas pu résister au plaisir d' évoquer mon poème préféré,je n' apporterai sans doute rien de bien nouveau sous le soleil,mais il est si beau que je ne me lasse pas d' en parler.Le deuxîème quatrain est un hymne aux âmes soeurs, tous ceux qui ont aimé une personne plus qu' eux mêmes se laissent " prendre aux tripes"!

Baudelaire est inclassable, il ne se revendique d' aucun courant,il dépasse le romantisme et préfigure le symbolisme . Son recueil " les fleurs du mal" paru en 1857 résume ses déchirements rien que par l' oxymore de son titre: il ne cesse d' osciller entre " spleen et idéal", un des chapitres du recueil,entre les aspirations vers l' absolu de la beauté supérieure et les penchants à la mélancolie et aux attachements morbides.Tout comme Ronsard, il aimera une créature charnelle, Jeanne Duval, une soeur spirituelle,marie Daubrun et un Ange,madame Sabatier.Le sonnet cxxi évoque un amour de plus en plus désincarné qui se poursuit jusque dans l' éternité.Le déni de la mort se fait par l' idéalisation,l' amour est évoqué comme une union spirituelle dont la mort n' est que la sublimation.

La communion des amants est réelle dès le premier vers grâce au " nous".L' amour est vécu comme une plénitude opposée au néant " plein d'"," tout chargé" ainsi que les pluriels" des lits, des divans" qui expriment une passion sensuelle.Le premier quatrain évoque une sorte de nuit de noces: la coûtume était de solenniser l' instant en bassinant les lits de parfum et en les fleurissant de pétales, ce qui explique" les odeurs légères".Les " étranges fleurs" symbolisent alors le pays d' une exotique destination, tout comme " sous des cieux plus beaux."
La passion amoureuse est marquée par l' isotopie de la chaleur et de la lumière:"chaleur, flambeaux,lumière" et par les répétitions de la dualité complice:"deux ""double" jumeaux".L' amour est perçu comme une connaissance au sens étymologique de naître avec,car il s' agit d' une union spirituelle désincarnée dans cette strophe,la métonymie du "coeur" représentant les sentiments, et la mention d'"esprits" étant sans ambiguité.Avant d' évoquer l' échange de regards, la scène offre la mise en abyme de deux êtres similaires plongés l' un dans l' autre et se reflétant à l' infini par la métaphore du miroir.
L' union se répercute aussi dans le ciel " rose et bleu" , pôles masculin et féminin, et l' éclair est le symbole du Kairos,figeant un instant crucial avant la séparation:
" Nous échangerons un éclair unique,
Comme un long sanglot tout chargé d' adieux."
Or un tel amour ne peut disparaître, comme l' indique l' opposition temporelle" cependant" et le dernier tercet se fait l' écho du quatrain en perpétrant l' image de cette union vouée à l' immortalité.

L' amour triomphe de la mort en se plaçant dans l'éternité.Le futur évoque un avenir illimité,le pluriel des espaces indénombrables, et la comparaison " profonds comme des tombeaux" amène l' idée de mort en une notion de densité.le quatrain prend alors un autre sens, celui d' une préfiguration de l' au-delà,les " étranges fleurs sur des étagères" évoquant les caveaux et " les " cieux plus beaux" le paradis.
Le jeu du miroir plonge dans l' infinité de l' espace et du temps avec le participe présent" usant à l envi" et sa destruction inexorable, le terme " dernières" associé au mot " vastes" et enfin la notion de réflexion qui ne connaît pas delimites.
La symbolique du soir amène aussi en douceur l' idée d' amour crépusculaire à la fin prochaine.L' instant de cette mort simultanée inconcevable est senti par le paradoxe entre "unique" et " long sanglot tout chargé d' adieux".
le lumineux tercet final sacralise cette mort " mystique" avec un entre- deux- mondes paradisiaque :" un Ange entrouvrant les portes" et le terme" ranimer" achèvent le sonnet sur une idée de résurrection.La mort n' a été qu' un passage pour une passion destinée à se poursuivre au delà de la vie.


La mort des amants est un des rares poèmes optimistes du recueil.Contrairement à ses habituelles déclarations douce amères telle " la charogne",le sonnet est une sorte " d' invitation au voyage" , passage vers l' autre monde en douceur,qui place l' union par delà les contraintes matérielles.La poésie a ce pouvoir de pérenniser la beauté qui fait que le voeu de Baudelaire est une réalité: son amour est immortalisé pour l' éternité.


mardi 4 janvier 2011

Etude analytique de " sur la mort de Marie"



Burne Jones


Pierre de RONSARD (1524-1585)


Comme on voit sur la branche au mois de may la rose,
En sa belle jeunesse, en sa premiere fleur,
Rendre le ciel jaloux de sa vive couleur,
Quand l'Aube de ses pleurs au poinct du jour l'arrose ;

La grace dans sa feuille, et l'amour se repose,
Embasmant les jardins et les arbres d'odeur ;
Mais batue ou de pluye, ou d'excessive ardeur,
Languissante elle meurt, fueille à fueille déclose.

Ainsi en ta premiere et jeune nouveauté,
Quand la Terre et le Ciel honoraient ta beauté,
La Parque t'a tuee, et cendre tu reposes.

Pour obseques reçoy mes larmes et mes pleurs,
Ce vase pleine de laict, ce panier plein de fleurs,
Afin que vif et mort ton corps ne soit que roses.


Ronsard comme beaucoup de poètes n' a pas trouvé en une femme les trois qualités qu' il recherchait: l' admiration de l' éternel féminin chez Cassandre, la fraternité spirituelle chez Hélène, et la célébration de la jeunesse et de la beauté chez Marie, petite paysanne sans artifice et sans culture.Son amitié amoureuse platonique connaîtra une indélébile blessure lorsqu' elle sera foudroyée par une pneumonie dans sa seizième année.Le déni avant la lettre de ce déces inacceptable lui inspire un sonnet à l' Italienne sur la fragilité de deux jolies fleurs.Pour évoquer le deuil en son coeur attristé,il assimile la rose à la femme et distille l' idée de leur mort par touches subtiles.

Le vers de volta opère une analogie entre la rose virginale et la jeune fille:l' expression" première et jeune nouveauté" est l' écho du parallélisme"en sa belle jeunesse, en sa première fleur" et insiste sur l' aspect printanier de la toute première floraison ," au mois de mai", qui par contre- point fait ressortir la pureté de cette jouvencelle.L' espoir des symboles de naissance vite aboli donne une intensité dramatique avec la redondance" aube au point du jour".
Leur beauté similaire est perçue dans son rayonnement:" comme on voit" présente la fleur offerte aux regards émerveillés," sa vive couleur" rend " le Ciel jaloux ", elle embaume " les jardins et les arbres" dans un rayonnement infini et se fait le réceptacle de l' idée même de la beauté et du sentiment qu ' elle inspire:" la grâce dans sa feuille et l' amour se repose."De la même manière la beauté de la jeune fille produit un effet universel:" quand la terre et le ciel honoraient ta beauté".
Leur destin équivalent semble soumis à des forces tragiques: après avoir connu l' hybris d' une gloire éphémère, elles sont toutes deux frappées d' un coup du sort, en effet le poète déplore la mort menaçante qui va triompher d' elles.

Avec beaucoup de pudeur,Ronsard s' attriste sur leur sort:les allégories du ciel et de l' aube, l' un dieu vengeur, l' autre divinité compatissante symbolisent la toute puissance du destin et du temps où le matin pleure déjà la nuit qui vient.Quelques signes précurseurs comme le terme " repose" qui montre l' inertie ,et la polysémie d' "embaumant", annoncent la déchéance qui suit quand les intempéries contrastées malmènent la fleur avec l antithèse" pluie-ardeur".le rythme et les répétitions explicitent cette mort rapide mais progressive" languissante elle meurt, feuille à feuille déclose".
Avec la même émotion qu' un Victor Hugo dans " demain dès l' aube", Ronsard s' adresse à la personne aimée comme si elle était présente en la tutoyant , en lui faisant une injonction au présent qui serait un hommage non posthume:" pour obsèques, reçois mes larmes et mes pleurs", la redondance embellit son chagrin d' une aura de simplicité; sans porter de jugement il suggère la cruauté du destin" la Parque t' a tuée" et son refus de l' accepter avec l' euphémisme" et cendres tu reposes".
La comparaison s' achève sur une assimilation entre la femme et la fleur, pérennisées dans des symboles de vie avec le parallélisme" ce vase plein de lait" viatique nourricier, " ce panier plein de fleurs" , qui prépare le vers de chute " afin que vif et mort ton corps ne soit que roses",où avec la dénégation des sordides conséquences de la mort, le poète se rassure dans l' idée d' une éternelle beauté que rien ne saurait abimer.


L' humanisme désacralise l' au delà en ne niant pas la douleur liée à la perte d' un être cher mais en se rattachant aux croyances antiques.Le courroux des dieux est compensé par une sorte de Panthéisme, la poésie de la nature l' emporte sur les contraintes de la matière.