lundi 16 janvier 2012

morts sans sépulture




Morts sans sépulture de Jean Paul Sartre au théâtre de Ménilmontant.

Il s’ en est fallu de peu que je reste en carafe, la salle était comble de réservations, bénis soient les retardataires ! C’ est donc dans un sympathique petit théâtre bondé avec des jeunes debout derrière ou assis dans les escaliers , face à un public de tous âges muet et solennel que la confrontation a eu lieu. Dès notre entrée , ils sont déjà sur la scène coupée en deux par une ligne blanche : les bourreaux dans l’ ombre, les victimes en vis à vis dans la lumière avec un ingénieux jeu de va et vient entre ces statuts interchangeables. Le texte de Sartre pose ses atemporelles questions : existe –t-il une cause qui vaille la vie d’ un homme, aurait –on le courage de ne pas trahir sous la torture, qu’ est-ce qu’ un héros, qu’ est-ce qu’ un lâche , ne sommes nous pas tous un peu des deux, la gratuité de l’ acte est-elle un mythe, notre essence dépend-elle de notre idéal ? Ils sont quelques condamnés à défiler pour être livrés à la torture afin de livrer leur chef .La mise en scène d' Audrey Bertrand est remarquable. Le rythme est soutenu et oppressant, on ne peut détacher son regard, on peut à peine respirer. C’ est en apnée qu’ on subit le viol et la torture, suggérés tout en pudeur, sans complaisance malsaine mais porteurs d’ une émotion édifiante, on a la larme à l’ œil sans se sentir voyeur, on n’ est que des pauvres hommes emportés dans une situation dramatique, aussi démunis que les personnages qui obtiennent notre compassion .Des musiques désuètes rythment le bal, entre flamenco et chansonnette cocasse, ce sont encore les mélodies fredonnées bouches fermées les plus obsédantes. Là aussi la musique est une fuite. Les victimes changent de costumes régulièrement, enfilent des tenues de plus en plus modernes, de plus en plus proches de nous. Quand le groupe des persécutés joue une scène, celui des tortionnaires continue de vivre et vice versa, chaque comédien ne cesse de jouer et continue d' exprimer son drame personnel. Il s’ agit de la troupe de l’ ombre noire et ils ont toute ma gratitude pour avoir si bien respecté le pacte de la vraisemblance que j’ ai vécu deux heures à travers eux en m’ oubliant, ils m’ ont laissée enrichie de leurs émotions, de leurs dilemmes auxquels j’ ai pris part sans aucun recul. Quant à toi, Maxime, je te connais drôle et humain et je t’ ai découvert ignoble et terrifiant, je t’ ai vu comme un monstre cynique et cruel, jusqu’ à ce que tu retournes nos certitudes manichéennes en devenant sympathique dans ton envie dérisoire de gagner la partie au détriment de l’ idéologie même, tu instaures un rapport de force dont tu seras le grand perdant, manipulé par tes victimes qui te mentent, trahi par tes pairs qui te désobéissent, tu es finalement le seul à tenir parole, le seul vraiment honorable, celui qui n’ a ni doutes , ni sang allié sur les mains, suis je objective ? Tu es mon personnage préféré, les autres m’ ont attendrie, indignée, mais toi tu es l’ archétype du pur, un archange de la dictature, les traces de sang sur tes mains sont nettes et sans bavures, je suis fière de toi ! Pendant que l’ on vous applaudissait avec enthousiasme, quatre ou cinq rappels, je crois, je me disais que toutes les mesquineries de notre quotidien, la crise et les fins de mois , tout cela me semblait bien dérisoire. Je n’ ai pas à me demander si je dois mourir ou laisser mourir une personne que j’ aime, je n’ ai pas à faire supporter l’ insoutenable à quelqu’ un de ma race humaine pour rester en vie, je suis heureuse ! Je m’ engage à ne jamais manquer une seule représentation de cette jeune troupe talentueuse aux choix intelligents.