mardi 4 janvier 2011

Etude analytique de " sur la mort de Marie"



Burne Jones


Pierre de RONSARD (1524-1585)


Comme on voit sur la branche au mois de may la rose,
En sa belle jeunesse, en sa premiere fleur,
Rendre le ciel jaloux de sa vive couleur,
Quand l'Aube de ses pleurs au poinct du jour l'arrose ;

La grace dans sa feuille, et l'amour se repose,
Embasmant les jardins et les arbres d'odeur ;
Mais batue ou de pluye, ou d'excessive ardeur,
Languissante elle meurt, fueille à fueille déclose.

Ainsi en ta premiere et jeune nouveauté,
Quand la Terre et le Ciel honoraient ta beauté,
La Parque t'a tuee, et cendre tu reposes.

Pour obseques reçoy mes larmes et mes pleurs,
Ce vase pleine de laict, ce panier plein de fleurs,
Afin que vif et mort ton corps ne soit que roses.


Ronsard comme beaucoup de poètes n' a pas trouvé en une femme les trois qualités qu' il recherchait: l' admiration de l' éternel féminin chez Cassandre, la fraternité spirituelle chez Hélène, et la célébration de la jeunesse et de la beauté chez Marie, petite paysanne sans artifice et sans culture.Son amitié amoureuse platonique connaîtra une indélébile blessure lorsqu' elle sera foudroyée par une pneumonie dans sa seizième année.Le déni avant la lettre de ce déces inacceptable lui inspire un sonnet à l' Italienne sur la fragilité de deux jolies fleurs.Pour évoquer le deuil en son coeur attristé,il assimile la rose à la femme et distille l' idée de leur mort par touches subtiles.

Le vers de volta opère une analogie entre la rose virginale et la jeune fille:l' expression" première et jeune nouveauté" est l' écho du parallélisme"en sa belle jeunesse, en sa première fleur" et insiste sur l' aspect printanier de la toute première floraison ," au mois de mai", qui par contre- point fait ressortir la pureté de cette jouvencelle.L' espoir des symboles de naissance vite aboli donne une intensité dramatique avec la redondance" aube au point du jour".
Leur beauté similaire est perçue dans son rayonnement:" comme on voit" présente la fleur offerte aux regards émerveillés," sa vive couleur" rend " le Ciel jaloux ", elle embaume " les jardins et les arbres" dans un rayonnement infini et se fait le réceptacle de l' idée même de la beauté et du sentiment qu ' elle inspire:" la grâce dans sa feuille et l' amour se repose."De la même manière la beauté de la jeune fille produit un effet universel:" quand la terre et le ciel honoraient ta beauté".
Leur destin équivalent semble soumis à des forces tragiques: après avoir connu l' hybris d' une gloire éphémère, elles sont toutes deux frappées d' un coup du sort, en effet le poète déplore la mort menaçante qui va triompher d' elles.

Avec beaucoup de pudeur,Ronsard s' attriste sur leur sort:les allégories du ciel et de l' aube, l' un dieu vengeur, l' autre divinité compatissante symbolisent la toute puissance du destin et du temps où le matin pleure déjà la nuit qui vient.Quelques signes précurseurs comme le terme " repose" qui montre l' inertie ,et la polysémie d' "embaumant", annoncent la déchéance qui suit quand les intempéries contrastées malmènent la fleur avec l antithèse" pluie-ardeur".le rythme et les répétitions explicitent cette mort rapide mais progressive" languissante elle meurt, feuille à feuille déclose".
Avec la même émotion qu' un Victor Hugo dans " demain dès l' aube", Ronsard s' adresse à la personne aimée comme si elle était présente en la tutoyant , en lui faisant une injonction au présent qui serait un hommage non posthume:" pour obsèques, reçois mes larmes et mes pleurs", la redondance embellit son chagrin d' une aura de simplicité; sans porter de jugement il suggère la cruauté du destin" la Parque t' a tuée" et son refus de l' accepter avec l' euphémisme" et cendres tu reposes".
La comparaison s' achève sur une assimilation entre la femme et la fleur, pérennisées dans des symboles de vie avec le parallélisme" ce vase plein de lait" viatique nourricier, " ce panier plein de fleurs" , qui prépare le vers de chute " afin que vif et mort ton corps ne soit que roses",où avec la dénégation des sordides conséquences de la mort, le poète se rassure dans l' idée d' une éternelle beauté que rien ne saurait abimer.


L' humanisme désacralise l' au delà en ne niant pas la douleur liée à la perte d' un être cher mais en se rattachant aux croyances antiques.Le courroux des dieux est compensé par une sorte de Panthéisme, la poésie de la nature l' emporte sur les contraintes de la matière.


6 commentaires:

  1. Très intéressant de renvoyer l' analytique d' un tableau à une poésie lyrique !
    En ce qui me concerne, et en tant que critique d' art je trouve que les plus beaux textes qui éclairent les œuvres d' art ( analyse, projection polysémique )ce sont les poèmes ou les créations inspirées d' une œuvre. Voir Ponge, Char, Butor, Apollinaire, Huysmans et j' en passe ! Artaud avec Van Gogh encore...

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  2. L' entrée en lecture commence avec la couverture du livre qui est une porte ouverte sur le rêve et en effet,Le naturalisme romanesque ne peut être dissocié de la recherche impressionniste sur le prisme lumineux,ni le surréalisme poétique du courant pictural,et tant d' autres, ce que vous dites des oeuvres s' étend aux courants eux mêmes.L'étude formelle viendra mais j' ai trouvé que la réalité sordide de la mort est aussi bien sublimée chez ce pré raphaëlite que par le sonnet de Ronsard.Et puis cela écrasait le pneu échoué là par erreur:-)

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  3. Le mêmecôté paisible que le Girodet : la mort d'Atala mais là on est plustot dans un conte"La belle au bois dormant"
    Dans le Girodet le 2e personnage souffre du vide de ses bras...

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  4. D' abord, merci de votre présence et bienvenue,en effet le romantisme du tableau que vous évoquez et la souffrance du personnage en deuil auraient mieux convenu au poème, j' ai aimé les roses autour de la jeune mort, mais votre choix est excellent!

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  5. A parler de relations art pictural et écrits , je ne me lasserais jamais de l'entrée en matière de "Les mots et les choses " de Foucault ...
    En plus de livrer une analyse d'une lucidité effrayante des Ménines de Velazquez ; il parvient à baser son raisonnement dessus ; c'est dément ...
    Je dirais très humblement qu'il en est entré directement dans mon panthéon textuel (l)

    ps : j'aime pas Ronsard madame , c'est grave ?

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  6. Je ne connaissais que le pendule :-)!On ne cite que des exemples que le maître vénéré connaît, par pitié!oui, les Ménines, ses mises en abymes et son austérité dont le vernis semble se craqueler sous nos yeux, il faudra que tu me dises ce que cet écrivain en pense..Ce n' est plus le panthéon, c' est la vallée des Rois avec toi!

    PS: Quand on aime Céline et Sade on n' est pas béat devant les sonnets du seizième!

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Sans la liberté de blâmer il n' est point d' éloge flatteur,à vos plumes: